In memoriam

Hommage à Madame Paola MORENO

Professeure ordinaire de la Faculté de Philosophie et Lettres



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Crédit photo ©EpistolART
 
 

 

Hommage à Madame Paola MORENO

Professeure ordinaire de la Faculté de Philosophie et Lettres

 

Le département de romane vient une nouvelle fois d’être durement frappé, avec la disparition, ce 5 février, de Paola Moreno, ravie bien trop tôt à l’affection des siens après avoir perdu un ultime combat contre une maladie qu’elle a toujours affrontée avec un courage, une dignité et une discrétion exemplaires. 

Formée à l’école de la « Filologia romanza » italienne, Paola Moreno était arrivée à Liège en 1990, avec la toute première génération d’étudiants Erasmus. Son maître, Alberto Varvaro l’avait encouragée à venir suivre les enseignements de Madeleine Tyssens pour compléter sa formation de médiéviste. C’est sous la direction de ces deux hautes personnalités qu’elle entreprit sa thèse de doctorat, consacrée à la tradition manuscrite de Foucon de Candie, une chanson de geste du cycle de Guillaume d’Orange, thèse qu’elle soutint en 1995 et publia dans la foulée. Le Moyen Âge continuera à retenir son intérêt, avec de nouveaux articles consacrés à Foucon, et l’édition des Tables du Chansonnier de Berne, un important recueil conservant la lyrique d’oïl.

Entre-temps, Paola s’était fixée à Liège, où elle avait rencontré celui qui allait devenir son mari, Alfred — on ne dira jamais assez les bienfaits des séjours Erasmus… —, et dès 1991, elle entra comme lectrice d’italien dans le service du professeur Pierre Jodogne, poste qu’elle occupa jusqu’en 2001, où elle devint chargée de cours en langue et littérature italiennes. Elle gravit ensuite les derniers échelons de la carrière académique et fut promue professeure en 2011, puis professeure ordinaire en 2016.

En travaillant aux côtés de Pierre Jodogne, Paola Moreno avait commencé à orienter ses recherches dans une nouvelle direction, qui allait faire d’elle une éminente spécialiste de l’œuvre de l'historien et homme d’état Francesco Guicciardini, contemporain de Machiavel, dont elle publia plusieurs volumes de lettres. Soucieuse de créer une « école guichardienne liégeoise », elle dirigea la thèse de son élève Hélène Miesse sur cet auteur, puis en 2015, elle fonda un « Centre d’études guichardiniennes de l’Université de Liège », pour mettre à la disposition de la communauté scientifique environ 2000 reproductions digitales de manuscrits de Guichardin, ainsi qu’une bibliographie complète relative à l’écrivain. Plus largement, elle s’intéressa à la correspondance et au langage politico-juridique à la Renaissance, ainsi qu’à l’influence de la Renaissance italienne sur la pensée politique et historique moderne. Les liens entre passé et présent lui importaient au plus haut point. Femme de convictions, elle défendait ainsi avec force l’importance de la démarche philologique pour lire les textes du monde d’hier et d’aujourd’hui dans le plus profond respect de la parole et de la pensée de leur auteur. Pour cette humaniste, la culture était essentielle et la philologie, une école de vie. Ces dernières années, elle avait encore développé un projet d’étude sociolinguistique des dialectes italiens au sein des communautés de migrants en Belgique.

Très engagée au service de notre institution, elle y assuma de nombreuses responsabilités : en Romane, elle se chargea longtemps la coordination des échanges Erasmus, et assura la vice-présidence, puis la présidence du Département ; elle présida aussi le Collège doctoral en Langues et Lettres, et siégea plusieurs années au Conseil de la Recherche. On ne peut oublier le rôle très actif qu’elle joua dans l’UR Transitions, dont elle assura la coordination scientifique, avant d’en devenir directrice adjointe aux côtés de Dominique Allart. Au sein de Transitions, avec Dominique Allart toujours, mais avec aussi Annick Delfosse et Laure Fagnart, elle avait co-promu l’ARC Epistolart sur la correspondance artistique à la Renaissance, et en était la porte-parole.

Exigeante avec elle-même plus encore qu’avec les autres : la formule peut sembler convenue, mais elle lui seyait pourtant parfaitement, nous serions unanimes à le reconnaître. Le degré de perfection et de finesse avec lequel elle dominait notre langue à l’oral comme à l’écrit était un indice de cette quête d’excellence. Paola était une travailleuse infatigable, s’imposant une discipline de fer. Son métier la nourrissait et l’accrochait à la vie. Enseignante passionnée, elle voulait aussi que ses étudiants donnent le meilleur d’eux-mêmes, et ils se souviendront d’un professeur sans doute strict mais humain et juste ; elle réservait d’ailleurs la même exigence à ses collaborateurs, à ses collègues mais également à ses amis et à ses proches. Née aux flancs du Vésuve, sol âpre et généreux à la fois, elle en avait hérité un tempérament fort, dominé par une maîtrise d’elle-même qu’elle s’efforçait de conserver en toutes circonstances, mais le feu s’échappait quelquefois, provoquant des étincelles dont quelques-uns se souviennent. De sa terre natale, elle avait aussi emmené l’ardeur avec laquelle elle chérissait sa famille, et la chaleur ensoleillée qu’elle savait mettre dans ses relations amicales.

Texte de Nadine Henrard, pour le Département de Langues et Littératures romanes.

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